01-09-2024
Article rédigé par Bertrand Coqueugniot
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C’est à l’occasion du concert à Angers d’Eddie Adcock & Talk of the Town en 1986 que comme beaucoup j’ai redécouvert Missy Raines. Eddie avait monté un groupe féminin qui comprenait Susi Gott au violon, Martha Hearon Adcock à la guitare et Missy Raines à la contrebasse. Un petit mot d’abord sur Susi, elle commença très jeune à jouer du violon dans son groupe familial Cowbell Hollow String Band, et les français la connaissent bien puisqu’elle s’établit chez nous après avoir épousé Christian Séguret et qu’ensemble ils menèrent leur propre projet musical.
Missy Raines n’était donc plus une inconnue lorsqu’elle rejoignit Eddie, et les français se souviennent certainement de son premier groupe, Cloud Valley, qu’on a vu en concert à Paris. Groupe novateur dans lequel officiait un futur grand du banjo, Bill Evans. Je conseille à tout le monde leur premier album qui est incroyable. Contrebassiste de talent, Missy s’est très vite imposée comme une grande, incontournable, et ses collaborations sont trop nombreuses pour être toutes citées, de Claire Lynch à Alison Brown en passant par Jim Hurst, David Grier et Mike Compton.
En 2018 une chanson de son album « Royal Traveller » obtint la distinction « Vocal Event of the Year » auprès d’IBMA et réunissaient les First Ladies of Bluegrass : Alison Brown, Becky Buller, Sierra Hull, Molly Tutle et Missy Raines bien sûr. Quel casting !!!! La particularité des First Ladies of Bluegrass est que chacune a gagné au moins un Award dans sa catégorie d’instrument, un super groupe par excellence ! On ne compte plus les prix que Missy a pu obtenir, et depuis quelques années elle a son propre groupe, The Missy Raines Band, que l’on a vu au Festival de la Roche en 2022 et qui nous a régalés !
Avec Missy Raines c’est une nouvelle génération d’instrumentistes qui ont commencé à pointer leur nez, dont Kristin Scott Benson. Le banjo semblant être prisé par ces dames après Alison Brown et Lynn Morris, c’est sur cet instrument que Kristin s’est construit une solide réputation.
Kristin Scott, devenue Mme Scott Benson après son mariage avec le mandoliniste Wayne Benson, est née dans un environnement musical en Caroline du Sud, et très jeune elle se passionne pour le banjo, devenant parmi les premières, avec Alison Brown, à maitriser tous les styles, de Earl Scruggs à Béla Fleck. En 2008 elle rejoint un des groupes phare de la scène Bluegrass, The Grascals. Au fil des années elle a obtenu 6 fois l’Award IBMA de banjoïste de l’année. Ses albums solos sont acclamés et depuis peu elle joue occasionnellement aussi en duo avec son mari.
Toutes ces filles émérites ont semé les graines pour un engouement plus large de la part de jeunes musiciennes, elles les ont décomplexées et on assiste depuis à l’éclosion de talents qui n’ont absolument rien à envier à leurs homologues masculins.
Dans Nyckel Creek, trio de teen-agers dont le mandoliniste allait devenir un monstre sacré, Sarah Watkins tenait le violon, puis lorsque Chris Thile s’est envolé vers d’autres aventures plus « Punchy », avec le troisième membre du groupe, son frère Sean, Sarah a multiplié les collaborations, accompagnant même la légende Jackson Browne.
C’est tout naturellement qu’elle se jeta ensuite dans une carrière solo et son premier album fut produit par John Paul Jones, ci-devant ex-bassiste et claviers chez Led Zeppelin ! Rien que ça.
C’est amusant de voir que deux ex-Led Zepp’ ont collaboré avec deux filles du Bluegrass, l’un avec Alison Krauss et l’autre avec Sarah Watkins !
Parmi les hauts faits d’armes de Sarah, une participation aux légendaires Transatlantic Sessions, avec Jerry Douglas et Aly Bain, l’animation d’un show TV, et une présence continue aux côtés de Jackson Browne.
Désormais c’est sa carrière qu’elle privilégie, ayant déjà à son actif 5 albums. Il y a deux ans Nickel Creek fit la surprise d’une reformation pour une tournée et un album réunion, pour notre plus grand plaisir.
Native du Minnesota et ayant grandi elle aussi dans un environnement familial musical, Becky Buller a d’abord acquis une solide formation de violoniste classique avant d’étudier le Bluegrass à l’East Tennessee State University. Excellente songwriter plusieurs de ses chansons ont été interprétées aussi bien par Del McCoury que par les Infamous Stringdusters, sans parler de Molly Tuttle.
Membre des First Ladies of Bluegrass, ce qui a attiré sur elle les projecteurs, elle a monté son propre groupe le Becky Buller Band. Elle fut élue « FIddle Player of the Year » en 2016.
Le Bluegrass a rarement compté de vraies stars qui dépassent la notoriété dans leur genre, je parle de stars au sens médiatique du terme. Alison Krauss fut sans aucun doute la première, Béla Fleck et Chris Thile ont eux aussi atteint une grande popularité, mais depuis quelques années ont surgi de nouveaux artistes qui rencontrent un immense succès populaire et remplissent les stades, de vraies stars !! Billy Strings est passé de phénomène Bluegrass à icone « cross-over », et Molly Tuttle lui a bien emboité le pas. Est-il besoin de présenter Molly Tuttle ? Depuis quelques années elle s’est imposée comme un des noms incontournables du Bluegrass, et même au-delà.
Comme beaucoup elle a grandi dans un environnement musical, son père Jack Tuttle, étant musicien multi-instrumentiste et instructeur. Née en Californie c’est là qu’elle fit ses premiers pas, dévoilant un talent inouï pour les pratiques instrumentales, la guitare, dont elle maitrise le style flatpicking mais qu’elle joue également en clawhammer, et le banjo sur lequel elle n’est pas manchote du tout ! Sans surprise c’est dans un Family Band qu’elle fit ses armes, lequel comptait aussi en son sein une toute jeune AJ Lee…
La carrière de Molly allait vite prendre un essor dont on ne sait jusqu’où il va aller, et on ne compte plus les prix et distinctions qu’elle a déjà reçus. Elle fit partie des célèbres First ladies of Bluegrass et à ses talents de musicienne et de prodige s’ajoute un rayonnant talent de chanteuse, de songwriter, et de band leader. En 2021 elle a réuni son groupe actuel, Golden Highway, lequel est omni présent sur toutes les scènes d’Amérique et d’ailleurs. À noter que Golden Highway compte aussi deux autres musiciennes, la très talentueuse Shelby Means à la contrebasse et Bronwyn Keith-Hines au violon. Sans oublier les garçons, Kyle Tuttle au banjo et Dominick Leslie à la mandoline. Ce groupe casse tous les codes du Bluegrass, attitude, look, répertoire, et c’est bien logiquement que Molly Tuttle & Golden Highway ont reçu un prestigieux Grammy Award à Los Angeles. La consécration suprême ! Je pense que leur reprise de « White Rabbit » de Jefferson Airplane a dû en défriser certains, mais cela fait longtemps que Molly est passée de l’autre côté du miroir…
Si un doute persistait, et j’espère que non, que les filles peuvent également être des terreurs sur leur instruments, après Molly Tuttle Sierra Hull met tout le monde d’accord. Mandoliniste hors pair, entre autres, elle foule la scène du Grand Ole Opry à 10 ans, le Carnegie Hall à 12, elle sort son premier album à 13, et ensuite enchaine les prix et récompenses, dont son premier IBMA Award en 2010. Avec son album suivant Sierra montrera qu’elle n’est pas seulement une virtuose à la mandoline mais aussi une excellente songwriter. De collaborations en évènements, celle qui cite Ricky Skaggs et Sam Bush comme influences se fait un nom, elle est membre des First ladies of Bluegrass et c’est Béla Fleck qui produit son troisième album. Ce n’est donc pas surprenant si ce même Béla Fleck la choisit pour son album « My Bluegrass Heart », puis l’intègre à son groupe de scène pour la tournée qui s’ensuivit. Tournée qui pour notre plus grand plaisir passa par la France ! Sierra Hull n’en est qu’à l’aube de sa carrière, et elle me rappelle Alison Krauss pour tout ce qu’elle laisse entrevoir… Elle est à ce jour la première et unique mandoliniste féminine à avoir obtenu l’IBMA Award de « Best mandolin player of the year ».
Les noms de Peter Rowan et de Tony Rice nous mettent des paillettes dans les yeux et lorsque ces deux briscards décident de réunir leurs talents et leurs forces pour deux albums et une série de concerts magiques, ils s’entourent de deux jeunes musiciennes. Malins ils sont… Mais la section de charme du Quartet a fait bien plus que de la figuration ! Bryn Davis à la contrebasse assure une rythmique de folie, c’est une sacrée cliente et sa réputation hors Bluegrass ferait envie à beaucoup. Sharon Gilschrist à la mandoline tient elle-aussi le pavé haut, tout en finesse, aux rythmiques et solis des patrons. Sans parler de leurs harmonies vocales. Elles ont depuis suivi des voies les amenant souvent hors du Bluegrass, surtout pour Bryn Davis, mais les deux disques du Rowan Rice Quartet ne seraient pas les mêmes sans elles. Savez-vous que Bryn est devenue ingénieur spécialiste en nucléaire et fait désormais de la musique en seconde occupation !!!
Je crois que jamais la vague Bluegrass n’a été aussi foisonnante aussi ce sont de nombreuses musiciennes qui surgissent régulièrement ou qui s’affirment, comme AJ Lee, Californienne , dont j’ai évoqué les premier pas plus haut et qui poursuit son propre chemin avec son groupe Blue Summit, multipliant également les collaborations, comme avec les Brothers Comatose. Mandoliniste originale, formidable chanteuse, excellente songwriter, sa musique flirte avec différents genres et ce qu’on appelle l’Americana. Elle a définitivement l’étoffe d’une future grande.
Pour tous les fans de Molly Tuttle le nom de Bronwyn Keith-Hines n’est pas inconnu. Elle est la violoniste de Golden Highway et l’un des personnages centraux du groupe. Également très bonne chanteuse on sent qu’elle a de grandes ambitions de carrière personnelle et il faut saluer son sens de l’occupation médiatique, une jeune femme de son temps !
Et la France ?
Lorsqu’à la fin des années 60 le Bluegrass a commencé à s’étendre au-delà des frontières américaines, l’Europe fut l’un de ses territoires de prédilection, tout comme à l’autre bout du monde le fut le Japon.
La France connut une belle effervescence, et si des garçons s’approprièrent avec talent le Bluegrass, quelques filles ne furent pas en reste. Je pense en premier lieu à Claire Liret, violoniste, qui fit partie de la première mouture de Bluegrass Long Distance. Elle n’a malheureusement pas enregistré d’album avec le groupe, on peut juste trouver quelques traces discographiques sur le disque Folk Pirate, avec un « Hot Burrito Breakdown » échevelé, et sur le premier volume de Banjo Paris Sessions, avec l’instrumental de Jean-Marie Redon, « Importune » et la chanson de Tim Hardin « Reason to believe ». Christian Poidevin était à la guitare et au chant dans ce premier Bluegrass Long Distance. Claire n’a pas poursuivi de carrière de musicienne, devenant Mme Bill Keith et s’installant avec lui aux USA.
Je ne sais si s’autres pays, hors USA, ont connu des groupes 100% féminin, mais la France oui ! ! Au milieu des années 70 apparurent les Bluebell Grass, groupe parisien qui comptait dans ses rangs Nelly Poidevin (sœur de Christian) à la contrebasse, Pascale Reys-Coquais à la guitare, Elisabeth Danneker au dobro, Laurence Duranti à la mandoline et Béatrice Roumier au banjo. Bien que toute jeune Béatrice était déjà une formidable banjoïste, maitrisant une technique irréprochable et inventive, et elle fit ensuite partie de groupes majeurs de la scène française Bluegrass : Trade Mark, Good News, pour ne citer qu’eux. Il n’est pas exagéré de dire que les garçons étaient sacrément admiratifs de son jeu !
France terre d’accueil, aussi je veux saluer deux américaines dont la carrière se fit majoritairement chez nous, Nathalie Shelar et Beth Mattson.
Nathalie, native de l’Arizona, joignit son talent de bassiste chanteuse à Jean-Marie Peschiutta, et ensemble ils fondèrent successivement un certain nombre de groupes, principalement Freewheelin, mais aussi Detour, Turquoise, et l’éphémère Bluegrass Rendez-Vous, qui me comptait dans ses rangs en compagnie de Christian Séguret, Susi Gott, et bien sûr Jean-Marie et Nathalie. Quel plaisir que d’écouter chaque jour la voix chaude et swingante de Nathalie Shelar !
Beth Mattson vient de Milwaukee et je pense que c’est à l’occasion de concerts de son groupe les Brew County Rounders qu’elle rencontrera Denis Hinzelin et qu’elle vint s’établir en France. Guitariste et chanteuse, ses influences vont de Dede Wyland à Gillian Welsh. En compagnie de Denis « Skip » Hinzelin elle fit les beaux jours de Blue Wave et mena entre autres son propre groupe, le Beth Mattson Band. Je ne compte plus tous les bœufs et picking sessions qu’on a pu faire ensemble par ailleurs !
Voilà ce petit tour d’horizon terminé, et je sais que l’apport féminin à la musique Bluegrass a un bel avenir devant lui ! On s’en réjouit !!
Bertrand Coqueugniot