31-08-2020
Article rédigé par Ti' Pierre
Si vous commandez un instrument à Jean-Marc Perrin, luthier à Saint-Amé, Vosges, ne comptez pas simplement passer le chercher rapidement et repartir. Ce n'est juste pas possible.
D'abord, on va parler. L'homme est volubile, surtout quand il s'agit de son métier, vous le savez car vous avez déjà longuement conversé lors de la commande et peut-être plusieurs fois par la suite.
Et il va tout vous dire sur votre nouvel instrument : quels en sont les différents bois, d'où il les a obtenus, depuis combien d'années il les fait sécher (pour certains dans son stock, d'autres dans son atelier même), les pièces métalliques, plein de petites anecdotes sur sa fabrication, d'éventuelles mésaventures... Tout ce qui fait l'histoire courte mais déjà bien remplie de son nouvel enfant, qu'il vous confie aujourd'hui.
Lors de la prise en mains viennent encore un tas de petites découvertes, détails sur le dessin du bois, l'assemblage, une précision sur le manche ou le réglage.
Jouez, découvrez, écoutez, humez, ressentez... vous êtes là pour ça. Après, il sera temps de partager quelque chose, à boire ou à manger, selon l'heure de la journée.
En repartant avec tout ça en tête, et bien que vous doigts ne soient pas encore familiarisés avec votre nouvelle compagne, vous en serez déjà intimement proche.
Si la plupart des luthiers que j'ai eu l'occasion de rencontrer travaillent avec plaisir et passion, c'est l'évidence même chez Jean-Marc. En témoignent par exemple ses filets de tables d'harmonie qu'il réalise lui-même, entièrement en bois ("Pas en plastique, malheureux !") avec une extrême délicatesse. Ou le concoctage de ses propres vernis. Ou encore le choix de ses bois de lutherie. Et comme beaucoup de ses confrères, il est toujours à la recherche d'une nouvelle technique, astuce ou découverte, comme par exemple le travail avec du bois torréfié.
Et le résultat est à la hauteur. Chaque mandoline Perrin que j'ai eu l'occasion de croiser a sa propre personnalité, son petit quelque chose d'unique, toujours étonnant ou attachant, que ce soit dans l'esthétique ou dans le son. Il n'est pas rare d'en entendre lors de jams ou rencontres, et le propriétaire sera souvent ravi de vous en parler (souvent d'ailleurs avec volubilité, ce virus semble se transmettre aisément de luthier à musicien).
S'il a beaucoup travaillé sur des guitares, Jean-Marc se consacre aujourd'hui essentiellement à la famille mandoline, mandola, mandocello et octave mandoline. Et de l'un à l'autre, bien que conçus sur les mêmes principes, les différences sonores, notamment de par la taille, sont étonnantes. Ci-dessous le diapason (longueur de corde vibrante) de chaque.
Mandoline F5 ou A5, diapason 13" 7/8 (35,24 cm).
La mandola H5 ou H4 diapason 15,9" (40,39 cm).
Octave mandoline type F ou A : diapason 20,79" (52,81 cm) ou 21" (53,34 cm).
Le mandocello type F ou K4, diapason 24,8" (62,99 cm) ou 25" (63,5 cm).
Si vous êtes déjà mandoliniste, ces longueurs vous font quitter les terres peut-être familières du bluegrass traditionnel. Avec une plus grande largeur de cases, le doigté de mandoline ne convient plus. Mais l'oreille est récompensée par la profondeur des sons les plus graves, la résonance d'une caisse plus grande qui offrent une voix incomparable, en musique médiévale ou Renaissance par exemple.
La lutherie n'est pas à l'abri des difficultés dues au Covid-19, notamment pour l'approvisionnement en certaines pièces (mécaniques, cordiers) en provenance des U.S.A., et il faut actuellement faire avec des délais d'acheminement, bien plus longs.
Luthier de guitares, Jean-Marc Perrin est venu à la lutherie de mandoline d'une étrange façon. Alors qu'il tenait son stand lors d'une rencontre, un visiteur lui exprima ses difficultés à trouver une mandoline qui aurait un manche un peu plus large que la normale, qui ne lui convenait pas. L'idée l'a alors suffisamment titillé pour qu'il se lance dans ce projet unique. Amusant : 20 ans plus tard, le même musicien lui commande un nouvel instrument pour fêter son départ à la retraite.
Bon, soyons clairs, un atelier de luthier, c'est toujours enthousiasmant, chaque outil ou chute de bois éveillant curiosité ou intérêt laisse entrevoir une once de la magie qui fera peut-être, par la suite, partie de notre musique.
Mais le sieur Perrin a une spécialité, un truc en plus, qui ne sera plus (pardon Jean-Marc) un secret à la fin de cette phrase : il fait une omelette aux morilles du tonnerre !
TP : Qu'est-ce qui t'a amené à t'orienter plus spécialement vers la famille des mandolines ?
Jean-Marc Perrin : "Je n'en sais rien. Mais après avoir fait ma deuxième mandoline, la découverte d'un univers sonore, le travail des voutes, la réalisation difficile, la sollicitation des amis. C'est envoutant."
TP : Comment choisis-tu et appareilles-tu les différents bois pour un même
instrument, table, éclisses, fond, manche, touche ?
JM P : "Plusieurs critères. Bois très bien débités, séchés naturellement, âgés de minimum 10 ans (gros stock). C'est plus une tendance, un mariage entre les épicéas et les érables (tables et fonds). Le manche et la touche répondent plus a des critères de stabilités et légereté."
TP : Quel est le plus lointain souvenir de ton intérêt pour la lutherie ?
- JM P : "Je devais avoir un dizaine d'années sans exacte certitude. Est-ce l’écoute de Brassens ou la vue d 'une guitare ? J'ai commencé, avec rien, à bricoler des guitares (tous ce qui me tombait sous la main était bon pour faire une guitare) et ce virus ne m'a jamais quitté."
TP : Pourquoi les Vosges ?
- JM P : "C'est la que je suis né, j’y suis bien, les morilles y poussent !"
Note : l'homme passant plus de temps dans son atelier que sur Internet, le site https://www.guitare-perrin.com/ est encore incomplet, manquent notamment certaines descriptions. Mais il y a de très chouettes photos.